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Collision du 7 juillet : quand l’infrastructure pousse à l’erreur

Photo noir et blanc avec un vélo partiellement visible qui projette une ombre sur le sol.

La collision mortelle du 7 juillet 2025 sur la Promenade des Anglais a, une fois de plus, mis en lumière les limites graves d’un aménagement routier inadapté. Deux personnes sont décédées, une troisième est gravement blessée. L’un des usagers, un jeune cycliste, aurait, selon les premiers éléments de l’enquête, traversé au feu rouge. Ce comportement imprudent est immédiatement devenu l’angle dominant du récit médiatique.

Mais peut-on vraiment s’arrêter là ? Peut-on considérer qu’un système est sûr lorsque sa seule sécurité repose sur l’hypothèse que personne ne commettra jamais d’erreur, qu’aucun feu ne sera grillé, qu’aucun doute ne surgira sur la trajectoire à suivre ?

Un aménagement qui n’est pas pensé pour des humains

L’intersection où s’est produite la collision est typique d’un aménagement conçu sans prendre en compte la réalité des comportements humains. En venant du sud, les cyclistes circulent sur une piste cyclable sans séparation physique des piétons. Pour traverser, ils ne disposent pas d’espace d’attente ; ils sont soit dans la trajectoire des cyclistes, soit dans celle des piétons. À la fin de la traversée, les marquages sont confus avec un itinéraire qui débouche sur un trottoir sans continuité cyclable, à 20 mètres en aval de la piste cyclable qu’ils doivent rejoindre. Côté nord, la situation est également dégradée : l’absence de lisibilité pousse presque systématiquement les cyclistes à emprunter le trottoir, à partager l’espace avec les piétons, à attendre à des endroits non prévus à cet effet.

Résultat : les usages réels s’écartent massivement de ce que prévoient les plans. Et c’est normal. Car l’infrastructure ne permet pas un comportement fluide, naturel et sûr. À force de mettre les usagers dans l’inconfort, dans le doute, voire dans le danger, on fabrique les conditions d’un passage à l’acte. On pousse à la faute.

Criticité élevée, absence de réponse

Dans toute autre industrie à risque – aéronautique, nucléaire, ferroviaire, BTP – les systèmes sont conçus en intégrant les défaillances humaines comme des données de base. On procède à des analyses de risques, dans lesquelles on évalue la gravité des conséquences potentielles, et leur probabilité d’occurrence. Le produit des deux donne une criticité : plus elle est élevée, plus des mesures de prévention ou de compensation sont obligatoires.

Appliquons cette logique à l’intersection de la Promenade devant l’Aéroport :

  • Gravité : un conflit vélo/véhicule motorisé à cet endroit est presque toujours grave, voire mortel, compte tenu des vitesses réelles pratiquées.
  • Probabilité : l’aménagement incite fortement à traverser au feu rouge. Tous les jours, des usagers s’y risquent.
  • Résultat : criticité élevée. Mais… aucune mesure n’a été prise.

Des solutions pourtant connues

Face à une situation aussi critique, toute réponse sérieuse devrait viser à :

  • Réduire la gravité : baisser la vitesse réelle des véhicules motorisés à proximité de la traversée.
  • Réduire la probabilité : raccourcir les temps d’attente, clarifier la signalisation, créer un espace d’attente dédié pour les cyclistes, assurer une présence policière dissuasive.
  • Supprimer le risque : réaliser un passage séparé, par exemple sous la Promenade, comme cela avait été réalisé temporairement à l’occasion de grands événements sportifs (comme la Coupe du Monde de Rugby en 2023) pour assurer une liaison sécurisée au stade.

Rien de tout cela n’a été fait.

Ce que d’autres villes font déjà

Dans d’autres pays, comme les Pays-Bas, la conception des infrastructures repose sur deux réalités de base : les êtres humains sont vulnérables, et les êtres humains commettent des erreurs – qu’elles soient volontaires ou involontaires. Dans leur approche « Sustainable safety », les aménagements sont pensés non pas pour des usagers parfaits, mais pour des usagers réels. L’objectif est que chaque usager de la route rentre chez lui sain et sauf – qu’il s’agisse d’un écolier, d’un travailleur, d’un conducteur professionnel ou d’un senior actif. Cela change tout.

Présentation du principe « Sustainable safety » (sous-titres en français disponibles, cliquez sur CC)

Là-bas, tout est fait pour éviter de mettre les usagers en situation de tentation ou de conflit : attente confortable, cycles de feux adaptés, intersections protégées, parfois même suppression pure et simple des feux grâce à des carrefours sécurisés par le design. Résultat : rouler à vélo y est non seulement plus agréable, mais aussi beaucoup plus sûr.

Un rappel utile de la Préfecture

Dans les jours qui ont suivi la collision, la Préfecture des Alpes-Maritimes a rappelé que « le premier fait qui explique les accidents graves, dont les mortels, sont les problèmes de comportement ». Nous ne contestons pas cette affirmation : les erreurs individuelles existent, et doivent être prises en compte. Mais c’est justement pour cela que les systèmes doivent être conçus pour limiter les conséquences de ces erreurs, et viser une politique cohérente de Vision Zéro – zéro mort, zéro blessé grave – en intégrant pleinement le facteur humain.

Nous saluons à ce titre l’action rapide de la Préfecture dans le déploiement de contrôles routiers rigoureux dans le secteur de la collision. Et nous rappelons aussi le rôle du Préfet comme garant de la légalité des actions des collectivités locales – y compris en matière d’aménagements cyclables, conformément à l’article L228-2 du Code de l’environnement, qui impose la création de voies sûres pour les cyclistes lors de toute rénovation de voirie.

Un aménagement illégalement incomplet ?

Il faut rappeler que cette traversée a été aménagée en 2016, dans le cadre des travaux de la ligne 2 du tramway. C’est-à-dire, vingt ans après la promulgation de la loi LAURE (1996), qui a instauré l’obligation de réaliser des aménagements cyclables lors de toute rénovation ou création de voirie urbaine. C’est cette loi qui a introduit l’article L228-2 dans le Code de l’environnement, lequel a été renforcé par la loi LOM (Loi d’Orientation des Mobilités) en 2020.

L’objectif de ce cadre légal est clair : garantir la continuité et la sécurité des itinéraires cyclables, en intégrant systématiquement des aménagements adaptés lors de tous les projets d’infrastructure. Le défaut manifeste de continuité et de lisibilité pour les cyclistes sur cette section pose donc une question de légalité, en plus d’une question de sécurité. 

Quand l’aménagement devient une faute

Ce que révèle tragiquement la collision du 7 juillet, c’est que l’aménagement actuel de cette intersection ne répond à aucune des exigences d’une voirie sécurisée. Il ne protège pas les plus vulnérables. Il n’anticipe pas les erreurs humaines. Il ne corrige pas les signaux faibles pourtant bien identifiés – deux collisions mortelles à quelques mois d’intervalle. Il constitue, en somme, une défaillance systémique.

Dans d’autres secteurs, laisser perdurer une telle situation sans intervenir serait qualifié de négligence, voire de faute grave. Pourquoi en serait-il autrement pour l’espace public ?

Conclusion

Reconnaître la part de responsabilité d’un usager imprudent ne doit pas nous empêcher de voir l’ensemble du système. Ce n’est pas déresponsabiliser que d’exiger que l’infrastructure tienne compte de la réalité humaine. Ce n’est pas excuser que de dire : cette collision n’était pas inévitable.

C’est poser une question simple et urgente : combien de morts faudra-t-il encore pour que l’on cesse de considérer les cyclistes comme des sous-usagers, et qu’on leur offre enfin des aménagements conçus pour la vie ?