La collision survenue le 7 juillet 2025 sur la Promenade des Anglais a coûté la vie à deux jeunes adultes, un homme de 19 ans et une femme de 21 ans. Deux vies fauchées, deux familles endeuillées. Comme beaucoup à Nice, nous avons été profondément choqués et attristés par cette tragédie. À l’association Nice à Vélo, nous tenons à exprimer notre solidarité et notre compassion envers les proches des victimes, et souhaitons un prompt rétablissement au conducteur du deux-roues motorisés.
Dans ces moments d’émotion et de douleur, il est humain de chercher à comprendre, d’identifier les causes, voire les responsables. Mais une collision mortelle n’est presque jamais le fruit d’un seul facteur. Elle résulte le plus souvent d’une combinaison : comportements des usagers, vitesses pratiquées, caractéristiques des véhicules, lisibilité des aménagements, état de la chaussée, météo, etc.
Dès les premières heures après le drame, une source policière a communiqué à la presse que, selon l’enquête préliminaire, le cycliste aurait traversé au feu rouge. Ce seul élément a été repris en boucle par l’ensemble des médias locaux, pendant plusieurs jours. Radio, presse, télévision : tous ont focalisé leur attention sur le comportement du cycliste, l’absence de respect supposé du code de la route, laissant entendre qu’il portait seul la responsabilité de la collision (seul Le Figaro, dès le 8 juillet, a nuancé cette version en rapportant que « le motard aurait très probablement roulé à une vitesse excessive »). Au niveau local, cette focalisation initiale sur une seule hypothèse a contribué à figer l’interprétation des faits. Elle s’est traduite, sur les réseaux sociaux, par une vague de commentaires haineux, dont la virulence à l’encontre des cyclistes en général pose de sérieuses questions.
Puis, vendredi 11 juillet au soir, le bandeau d’information en continu de BFM Côte d’Azur annonçait : « Accident mortel sur la Prom’ : D’après les premiers éléments, la moto roulait à vitesse excessive ». Une information nouvelle, mais relayée nulle part ailleurs. Aucun reportage de la chaîne ne l’a développée. Aucun média local ne l’a reprise, à part la radio Ici Azur dans une brève. Aucun article n’a été mis à jour. Aucune précision sur la vitesse réelle pratiquée. Ce changement dans l’analyse n’a suscité ni débat, ni rectification, ni nuance.

Plus grave encore : presque aucun média, à l’exception de France 3, ne s’est interrogé sur l’autre facteur central dans cette collision – l’aménagement de l’intersection. Un aménagement incompréhensible pour les cyclistes, sur lequel nous avions pourtant alerté la Métropole, dès janvier dernier après une précédente collision mortelle. Une solution temporaire avait été proposée. Elle n’a pas été mise en œuvre.
Réduire la responsabilité d’un drame de cette ampleur à un seul individu est non seulement irresponsable, mais profondément injuste envers la personne mise en cause – un jeune homme qui n’est plus là pour faire entendre sa version des faits. Il ne s’agit pas de nier une éventuelle imprudence, ni d’exonérer ce cycliste de toute responsabilité. Mais on ne peut ignorer les autres facteurs qui ont contribué de manière tout aussi déterminante à cette collision. Cela revient à détourner le regard des autres causes possibles – dont certaines relèvent directement de l’action publique.
Nous appelons donc les autorités policières à faire preuve de rigueur, tant dans l’enquête que dans la communication des premiers éléments. Et nous appelons les médias à exercer leur responsabilité déontologique dans la manière dont ces informations sont relayées. Une information préliminaire est, par nature, partielle. En l’isolant, en l’érigeant en vérité définitive, on oriente l’opinion, on alimente des jugements hâtifs, on construit une culpabilité sans défense possible.
Ce que nous demandons, c’est de la rigueur. Une rigueur indispensable si l’on veut comprendre réellement ce qui s’est passé — et surtout, éviter que cela ne se reproduise.
Pour nourrir la réflexion, nous partageons ci-dessous une capture d’écran de la page d’accueil du site de Nice-Matin en date du samedi 13 juillet. Les trois principaux titres évoquent des collisions impliquant des voitures, dont l’une semble délibérée : une voiture fonce sur des piétons au port de Saint-Laurent-du-Var. Jusqu’au mardi 15 juillet après-midi, aucune suite, aucun suivi, aucune mise à jour n’a été publiée sur ces événements.

Cela interroge : sommes-nous devenus collectivement insensibles au danger routier lorsqu’il provient d’une voiture ? Acceptons-nous, par habitude ou par résignation, que des comportements dangereux de la part d’automobilistes soient banalisés, quand ceux des cyclistes font l’objet d’une attention immédiate et parfois disproportionnée ?
Pourquoi les médias n’appliquent-ils pas aux conducteurs de voitures les mêmes exigences qu’aux cyclistes ? Pourquoi l’examen minutieux du comportement individuel ne s’impose-t-il que pour les plus vulnérables, et non pour les plus dangereux ?
La sécurité routière ne progressera que si l’on accepte de regarder les faits avec lucidité, sans préjugés, et en exigeant des responsabilités à la hauteur des impacts réels. Cela vaut pour les usagers. Mais aussi — et surtout — pour les décideurs, les aménageurs, et celles et ceux qui, par leur parole publique, contribuent à modeler la perception collective du danger.