Dans un peu plus d’un an, les élections municipales auront lieu. Les mois à venir seront une occasion idéale pour faire un bilan des promesses tenues (ou non) par l’actuelle municipalité, et notamment en matière de mobilité à vélo.
Mais avant de nous dédier au bilan du Plan Vélo Métropolitain, annoncé le 29 avril 2021, nous allons nous concentrer sur un autre sujet qui nous tient à cœur : les discontinuités cyclables ou, en termes moins techniques, les “trous noirs” cyclables ou les « portails vers le Mordor ».
Mais… qu’est-ce qu’une discontinuité cyclable ?
Tu t’es déjà retrouvé, en pédalant sur ton vélo, à un moment où tu te demandais : « Super ! Et maintenant, je vais où ?! »
Il y a de forts risques que tu sois déjà tombé sur une discontinuité cyclable. Et encore plus de risques que, dans ton quotidien, tu aies appris à « faire avec », souvent en empruntant des alternatives qui ne respectent pas toujours le Code de la route.
En termes plus techniques, une discontinuité cyclable, c’est cette rupture soudaine d’une piste ou d’une bande cyclable, sans indications claires sur la direction à suivre. Elle oblige les cyclistes à s’insérer brutalement dans la circulation motorisée, ou pire, à rouler sur un trottoir (oui, oui, on a déjà vu ça !), souvent au détriment de leur sécurité et de celle des autres usagers de la route. Parfois, il s’agit de quelques dizaines de mètres manquants, d’une intersection non aménagée ou d’un itinéraire interrompu sans alternative évidente. Ces « trous » dans le réseau compromettent la continuité et la sécurité des trajets et dissuadent de nombreuses Niçoises et de nombreux Niçois de prendre plus souvent leur vélo.
Finaliser un réseau maillé et cohérent : un objectif du Plan Vélo Métropolitain 2021-2026
Un réseau cyclable sans discontinuité n’est pas un luxe, mais une nécessité pour encourager l’usage du vélo. Les aménagements cyclables doivent être pensés pour celles et ceux qui ne font pas encore de vélo. Non pas pour les cyclistes aguerris, mais pour les personnes qui, aujourd’hui, souvent parce qu’elles se sentent en danger, hésitent à se déplacer à vélo. C’est la seule manière, à court terme, d’augmenter la part modale du vélo, c’est-à-dire le nombre de déplacements effectués avec ce moyen de transport.
Nous appelons à un dernier effort, à la fois visible et concret, pour éliminer ces discontinuités. Même s’il ne correspond pas entièrement aux ambitions annoncées, un réseau cyclable structurant et enfin continu pourrait transformer le bilan final de manière significative.
Les priorités
Des problèmes ? Des solutions ! Y a plus qu’à !
Nous allons maintenant examiner quelques exemples de discontinuités cyclables que nous avons repérées à Nice. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une liste exhaustive, ces cas figurent parmi ceux que nous jugeons les plus urgents à traiter. Pour chacun, nous décrivons la situation actuelle et proposons des solutions pragmatiques et applicables.
Rue Trachel : le trou dans la raquette.
La piste cyclable de la rue Abbé Grégoire aboutit à l’une des discontinuités les plus frappantes du réseau cyclable niçois, illustrant parfaitement le manque de vision et de concertation avec les usagers.
Très critiquée dès sa mise en service en février 2023 par les automobilistes, cette piste cyclable est, en toute objectivité, aujourd’hui uniquement accessible depuis le sud du boulevard Gambetta. Aucune solution sécurisée et crédible n’a été prévue pour les cyclistes venant de Nice Nord. À moins, bien sûr, d’être particulièrement téméraire et de vouloir prendre des risques en se lançant dans le flux dense de voitures qui convergent vers l’entrée de la voie Mathis, en empruntant la rue Reine Jeanne, avant de tourner à droite après le square Colonel Jean-Pierre.
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En pratique, les cyclistes arrivant de la piste cyclable de la rue des Combattants en Afrique du Nord prennent régulièrement l’habitude de tourner à droite sur la rue Trachel, malgré l’interdiction d’accès (réservée aux riverains et commerces), afin de rejoindre la piste de la rue Abbé Grégoire.
De plus, pour ceux arrivant du sud, la piste s’arrête brusquement, projetant les cyclistes dans la circulation générale à un endroit où l’insertion est particulièrement dangereuse.
En théorie, il faudrait poursuivre sur la rue Dabray, tourner à droite sur la Rue Vernier, puis rejoindre la piste cyclable de la rue des Combattants en Afrique du Nord (itinéraire indiqué en pointillés noirs). Cependant, ce trajet, peu sécurisant, peine à convaincre et est, en réalité, très rarement emprunté.
Dans la réalité, de nombreux cyclistes préfèrent emprunter une solution plus directe : à la fin de la piste de la rue Abbé Grégoire, tourner à droite sur la rue Trachel, parcourant 150 mètres à contresens ou sur le trottoir pour rejoindre la piste de la rue des Combattants en Afrique du Nord (trajet indiqué en pointillés verts).
Propositions d’amélioration
- Prolonger la piste cyclable bidirectionnelle sur les 150 mètres restants de la rue Trachel afin d’assurer une continuité fluide et sécurisée.
- Aménager un double-sens cyclable, avec la signalétique prévue, en portant une attention particulière aux intersections pour garantir la sécurité de tous les usagers.
Avenue Malausséna : bloqués dans un loop infini.
En venant de la rue Trachel pour rejoindre la piste cyclable de la rue Rouget de l’Isle, les cyclistes se retrouvent face à une impasse et une barrière. En théorie, ils sont contraints de revenir sur leurs pas, descendre par la piste cyclable de la rue de Villeneuve, ensuite tourner à gauche sur celle de la Rue Reine Jeanne, avant de rejoindre légalement et en toute sécurité la piste de la Rue Rouget de l’Isle.
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Le même problème se pose dans le sens inverse : lorsqu’on arrive de la rue Rouget de l’Isle, il faudrait théoriquement emprunter l’avenue Malausséna en circulant sur la chaussée générale pour rejoindre la piste cyclable de la rue Trachel. Ce trajet est non seulement peu lisible mais aussi peu réaliste.
Dans la réalité, face à l’absence d’un itinéraire direct, de nombreux cyclistes choisissent de parcourir les 60 mètres manquants en empruntant la plateforme du tramway. Une solution qui est tout simplement interdite à Nice.
Proposition d’amélioration
Créer une piste cyclable bidirectionnelle sur la portion de l’avenue Malausséna, actuellement fermée à la circulation, afin d’assurer une liaison directe et sécurisée entre la rue Trachel et la rue Rouget de l’Isle.
Gare Thiers : un vrai casse-tête.
Les gares ferroviaires sont, par définition, des pôles majeurs de déplacements. D’autres lieux génèrent également un important flux de trajets, comme les établissements scolaires (lycées, collèges, universités), les salles de concert ou encore les pôles multimodaux.
Il est donc essentiel, et même logique, de garantir que ces endroits soient facilement accessibles par un maximum de modes de transport, en particulier les alternatives à la voiture. Pourquoi limiter l’usage de la voiture ? Parce que ces lieux attirent une telle affluence qu’il est crucial de réduire au maximum la congestion. Et qui dit voiture en centre-ville, dit souvent… embouteillages.
Les gares SNCF de Nice (Aéroport, Nice Ville et Riquier) sont très faciles d’accès en train (évidemment ! 😉), relativement accessibles en tramway ou en bus, plutôt compliquées à atteindre en voiture, et, hélas, particulièrement difficiles d’accès à vélo.
Prenons l’exemple de la gare Nice Ville. La situation est tout sauf simple. Nous nous sommes nous-mêmes rendus compte à quel point cela relève du véritable parcours du combattant, tant nous avons pris l’habitude d’emprunter des rues et passages où, en théorie, nous n’avons pas le droit de circuler à vélo.
Aujourd’hui, la seule manière relativement confortable et sécurisée de rejoindre la gare Thiers en empruntant un maximum de pistes cyclables est d’arriver du sud du boulevard Gambetta. Peu importe d’où vous venez d’autre, vous serez soit confronté à des obstacles, soit contraint d’effectuer de longs détours. Ce qui, encore une fois, va totalement à l’encontre de l’idée de promouvoir les déplacements à vélo, censés être plus rapides et efficaces que d’autres modes de transport.
Car, puisque la stratégie n’est pas d’interdire un mode de transport au profit d’un autre la meilleure façon d’encourager le vélo est de le rendre plus pratique, plus rapide et plus attractif.
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Proposition d’amélioration
Résorber les discontinuités cyclables de la rue Trachel et de l’avenue Malausséna, évoquées précédemment, constitue une première étape incontournable pour améliorer l’accessibilité de la gare Thiers à vélo.
La rue Trachel permettra de relier la gare en provenance de Nice Nord, tandis que l’avenue Malausséna et son prolongement joueront un rôle clé en offrant un itinéraire direct depuis le sud (via l’avenue Durante et le tunnel de la gare en passant par la rue Reine Jeanne), depuis l’est (via la rue Rouget de l’Isle), ainsi qu’une alternative plus courte pour les cyclistes venant du nord.
Dans cette perspective, la liaison entre la rue Reine Jeanne et l’avenue Thiers devient un maillon essentiel pour garantir une connexion fluide et sécurisée jusqu’au parvis de la gare. Un tronçon semble d’ores et déjà prêt devant le complexe Iconic. Toutefois, le mystère plane encore autour de cet aménagement, qui, pour l’instant, ne laisse rien présager d’une véritable piste cyclable, hormis la différence de revêtement par rapport au trottoir.
La véritable complexité réside dans la portion située à proximité de l’arrêt de tramway Gare Thiers. Ce passage clé nécessitera une réflexion approfondie afin d’assurer une continuité efficace et sécurisée, aussi bien pour les cyclistes que pour les piétons.
Rue Cassini: rues bloquées, solutions à trouver.
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En attendant que la piste cyclable de la Place Garibaldi soit enfin reliée à celle de l’avenue Saint-Jean-Baptiste, au niveau du MAMAC, le problème de la Rue Cassini ne se résume pas à une simple connexion entre deux tronçons de pistes cyclables. Il s’agit d’un véritable problème systémique qui empêche toute continuité des itinéraires cyclables en provenance des quartiers Est.
À ce jour, il est impossible de rejoindre la piste cyclable de la Rue Cassini en venant de l’Est. En effet, les axes principaux que sont la Rue Martin Seytour, la Rue Emmanuel Philibert et la Rue François Guisol ne permettent pas, dans l’état actuel, d’être empruntés dans le sens nord-sud par les cyclistes.
Proposition d’amélioration
Depuis longtemps, les usagers demandent l’aménagement d’une piste cyclable bidirectionnelle sur la rue François Guisol, afin de créer un véritable axe structurant nord-sud reliant les quartiers Est via la rue Auguste Gal, la rue de Roquebillière et le boulevard Pierre Sémard.
Cependant, un tel projet nécessite un alignement parfait entre concertation, planification, budget et volonté politique… des éléments qui, pour l’instant, ne semblent pas être réunis.
Une solution plus simple et immédiate consisterait à instaurer des double-sens cyclables sur la rue Martin Seytour, les rues Emmanuel Philibert et Ribotti, et la rue François Guisol. Cette solution, à la fois pratique et économique, permettrait d’améliorer rapidement la mobilité à vélo dans le secteur en attendant des aménagements plus ambitieux.
Boulevard René Cassin: une verrue à l’Ouest.
L’arrivée du tramway à Nice aurait pu être une occasion idéale pour repenser les plans de circulation et aménager des infrastructures favorisant les modes de transport alternatifs à la voiture, comme l’exige d’ailleurs la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM). Pourtant, cette opportunité s’est avérée décevante pour celles et ceux souhaitant se déplacer à vélo.
Prenons l’exemple du boulevard René Cassin : avant l’arrivée du tramway, une piste cyclable sécurisée longeait tout le boulevard jusqu’à la Promenade des Anglais. Aujourd’hui, cette piste a disparu. Lorsqu’on arrive de la gare SNCF Nice Aéroport, on se retrouve soudainement dans un impasse, face à une interrogation : Que faire ? Où aller pour rejoindre la piste cyclable du bord de mer ? Si seulement mon vélo pouvait voler…
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En théorie, deux options s’offrent aux cyclistes :
Reprendre la route, au milieu de la circulation motorisée, perdant ainsi toute sensation de sécurité sur un axe à trois voies très emprunté par les véhicules motorisés.
Descendre de son vélo et marcher sur le (très) large trottoir sur 400 mètres, ce qui est loin d’être pratique.
Pas très adapté, n’est-ce pas ? Comment promouvoir l’efficacité des déplacements à vélo dans de telles conditions ? Comment encourager davantage de personnes à choisir ce mode de transport face à de telles lacunes ?
Proposition d’amélioration
Pas besoin de chercher loin : une piste cyclable bidirectionnelle longeant les rails du tramway doit voir le jour sur le boulevard René Cassin. L’espace disponible ne semble pas poser de problème, et même la zone autour de l’arrêt de tramway, qui pourrait sembler plus complexe à aménager, dispose en réalité d’une largeur suffisante. Avec le déménagement de plusieurs départs de bus vers la nouvelle gare routière, l’opportunité est trop belle pour ne pas être saisie.
Sans cette liaison, inutile de préciser que la piste cyclable existante perd tout son intérêt et reste largement sous-exploitée.
Rue Maccarani : c’était mieux avant.
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Il fut un temps où la rue Maccarani disposait d’une piste cyclable permettant de relier l’axe structurant du Paillon via l’avenue de Suède, depuis la place Grimaldi. Cette piste a d’abord été supprimée au profit d’une file de stationnement pour voitures, puis remplacée brièvement par un double-sens cyclable, avant que ce dernier ne disparaisse à nouveau.
Aujourd’hui, l’absence de cette liaison se fait cruellement sentir. Elle serait particulièrement utile pour renforcer l’alternative à la piste cyclable du bord de mer, tout en offrant un itinéraire bis lors des fréquentes fermetures de la piste du Paillon au niveau de la place Masséna.
Proposition d’amélioration
Nous préconisons l’instauration d’un double-sens cyclable sur la nouvelle avenue de Suède, devant le jardin d’Arménie, ainsi que sur la rue Maccarani. Cela est d’ailleurs prévu dans le Code de la Route pour les zones de rencontre (comme au niveau du jardin de l’Arménie) et les Zones 30. Une option complémentaire consisterait à supprimer au moins une file de stationnement. Cette suppression, loin d’être un obstacle, s’avérerait bénéfique en rendant la rue plus attractive et propice aux commerces.
Conclusion
Ces incohérences ternissent l’image que la Ville de Nice tente de promouvoir en matière de mobilité à vélo.
Ces exemples de discontinuités cyclables illustrent à quel point il suffirait de peu pour améliorer la plupart de ces situations. Des solutions simples et pragmatiques pourraient être mises en place rapidement, à condition d’une réelle volonté politique.
Il est également important de souligner que, même sans les excuser, les comportements parfois perçus comme inappropriés de certains cyclistes sont souvent une réaction directe à des aménagements inexistants, peu sécurisants ou tout simplement inadaptés. Face à ces situations, beaucoup choisissent des itinéraires alternatifs jugés moins dangereux, même s’ils ne sont pas toujours conformes au Code la route.
Par ailleurs, malgré les déclarations répétées du maire Christian Estrosi se présentant comme le « maire des piétons, des usagers du vélo et des automobilistes », force est de constater que cette ambition d’équité entre les différents modes de transport peine à se traduire dans les faits. Il est évident que tous les usagers, ainsi que leurs contraintes, ne sont pas traités de manière égale.
Enfin, ces constats révèlent un manque de vision d’ensemble et une approche trop souvent déconnectée des réalités du terrain. L’absence de concertation avec les usagers, pourtant les premiers concernés, ne fait qu’accentuer l’impression d’une politique de mobilité menée à l’aveugle, ou du moins avec un sérieux manque d’ambition. Une prise en compte réelle des besoins et des contraintes des cyclistes, associée à une approche plus inclusive, permettrait sans aucun doute de faire de Nice une ville cyclable accessible à toutes et tous, quel que soit l’âge, la condition physique ou l’expérience.