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L’axe Liberté-Dante : éloge d’une piste bien tracée

À Nice à Vélo, notre engagement pour un développement ambitieux et qualitatif des infrastructures cyclables à Nice et dans la Métropole s’exprime souvent par des critiques argumentées. C’est le rôle d’une association indépendante de faire remonter les manquements, les incohérences ou les occasions manquées. Mais cela ne veut pas dire que nous ne savons pas reconnaître et saluer les avancées. Bien au contraire.

Inauguré en juin 2023, l’axe cyclable Liberté-Dante (qui comprend aussi la rue de la Buffa) incarne à nos yeux un exemple abouti d’aménagement cyclable urbain. Il témoigne à la fois d’une volonté politique assumée, d’un savoir-faire technique maîtrisé, et d’une prise en compte concrète des besoins des usagères et usagers du vélo. Il prouve qu’à Nice, des infrastructures sûres, confortables et fonctionnelles sont non seulement possibles, mais déjà réalisées, et que les services métropolitains disposent de toutes les compétences nécessaires pour concevoir des aménagements de qualité.

À l’heure où de nombreux aménagements à l’est comme à l’ouest de la ville suscitent la frustration – par leur discontinuité, leur potentiel de génération de conflits d’usage ou simplement leur absence – nous avons souhaité mettre en lumière une réussite. Cet article a pour ambition de valoriser un axe exemplaire, d’identifier quelques leviers d’amélioration simples, et de montrer en quoi il devrait inspirer l’ensemble des futurs projets cyclables de la Métropole.

Ci-dessous, une synthèse de notre analyse. Pour les détails, les observations de terrain et nos propositions complètes, rendez-vous après les photos.

✅ Ce qui fonctionne : un aménagement exemplaire à bien des égards

  • Utilité structurante : l’axe Liberté–Buffa–Dante permet de traverser tout le centre-ville d’est en ouest, dans les deux sens, entre Jean-Médecin et Grosso. Il relie plusieurs quartiers denses (Thiers, La Buffa, Gambetta) et offre une alternative crédible à la rue Masséna, interdite aux cyclistes. Il facilite l’accès à un tissu commercial riche, avec de nombreux points d’arrêt possibles grâce aux nombreux arceaux entre Jean Médecin et la place Grimaldi.
  • Qualité du tracé : la piste est continue, bidirectionnelle, réalisée à hauteur de chaussée, avec un marquage clair y compris aux intersections. Aucun poteau, bordure ou obstacle gênant : le cheminement est fluide, lisible et intuitif. La suppression de nombreux feux de circulation contribue à cette fluidité.
  • Séparation nette des usages : une bordure infranchissable, souvent renforcée par des jardinières, sépare les cyclistes des véhicules motorisés. La cohabitation avec les piétons est bien pensée : la piste est bien distinguée du trottoir, et les intersections sont aménagées avec des « oreilles » qui favorisent la visibilité mutuelle.
  • Confort d’usage : la surface est lisse, régulière, sans ressaut à chaque intersection. Cela permet de rouler en sécurité, même à vitesse lente. L’ombrage procuré par les alignements d’arbres constitue un atout précieux, notamment en période estivale.

⚠️ Ce qui peut encore progresser

  • Régime de priorité : la priorité à droite, appliquée aux intersections sans feux, est source de confusion et de dangers. Les automobilistes regardent rarement dans les deux sens, et les cyclistes peinent à anticiper les comportements. Un « cédez-le-passage » généralisé aux véhicules traversant l’axe sécuriserait les intersections.
  • Stationnement livraison : le régime mixte (livraison le matin, stationnement payant l’après-midi) crée des situations d’occupation illégale de la piste, car les livraisons ont lieu pendant toute la journée. Étendre la période réservée aux professionnels, couplé à un contrôle ferme de la Police Municipale, permettrait de limiter ces infractions.
  • Manque d’arceaux vélo : la portion ouest de l’axe est nettement sous-dotée en stationnement vélo. Cela freine les arrêts spontanés et pénalise les commerces du secteur. Une correction est nécessaire pour répondre à la demande réelle.

Analyse en images

Les photos ci-dessus illustrent les points forts de l’axe Liberté–Dante, en les confrontant à d’autres aménagements récents ou en cours de réalisation : la rue Maréchal Joffre (livrée en 2019), l’avenue Valéry Giscard d’Estaing et le prolongement de la Promenade du Paillon. Cette comparaison visuelle permet de mettre en évidence les choix de conception qui font la différence.

Analyse complète de l’axe Liberté-Dante

Un axe utile, structurant et bien connecté

L’axe Liberté-Dante permet une traversée complète du cœur de Nice d’est en ouest, dans les deux sens, entre l’avenue Jean-Médecin et le boulevard Grosso. À son extrémité est, il se prolonge aujourd’hui temporairement via une piste cyclable sur la rue de l’Hôtel des Postes, en attendant que les travaux autour de l’Hôtel des Polices permettent une continuité permanente de qualité.

Cet axe relie des quartiers stratégiques (Jean-Médecin, Thiers, La Buffa, Gambetta) et dessert un tissu commercial dense, avec des arrêts faciles pour faire ses courses, se restaurer ou rejoindre des équipements. Il offre également une alternative crédible et fluide à la rue piétonne Masséna, interdite aux cyclistes en raison de l’important flux piéton.

À noter particulièrement : la suppression des feux de circulation à de nombreuses intersections, combinée au réaménagement de la voirie qui a rééquilibré la distribution de l’espace public, favorise la fluidité du trafic cycliste.

Un aménagement sécurisant et lisible

Ce qui distingue véritablement cet axe, c’est la qualité de la séparation physique entre la piste et le trafic motorisé, assurée par des bordures infranchissables ou des jardinières. Cela réduit fortement les risques d’intrusion par des véhicules, et apporte une vraie sérénité d’usage.

Les conflits avec les piétons sont essentiellement supprimés. La piste est située à hauteur de chaussée et bien distincte du trottoir, ce qui permet une identification claire de l’espace cyclable. Cette configuration est particulièrement bénéfique pour les personnes malvoyantes, qui repèrent aisément les différences de niveau, mais aussi pour les piétons moins attentifs.

Aux intersections, les trajectoires sont doucement déviées pour laisser place à des avancées de trottoir (les fameuses “oreilles”), qui favorisent la covisibilité entre piétons et cyclistes. Ce choix de design contribue à l’attention mutuelle, sans pour autant nuire à la continuité des déplacements.

Certes, il arrive que des véhicules, notamment de livraison, stationnent sur la piste ou à cheval sur le trottoir. Mais ces comportements relèvent d’infractions, que seule une action renforcée des forces de l’ordre pourra endiguer, et non d’un défaut de conception.

Un point mérite cependant d’être mis en lumière, très régulièrement signalé par les usagers : le régime de priorité aux intersections, qui est source de confusion et de conflits. Actuellement, la priorité à droite s’applique aux intersections sans feux. Cela pose problème sur une piste cyclable bidirectionnelle : les automobilistes regardent souvent uniquement dans le sens des voitures, ignorant les cyclistes venant en sens inverse. Cela crée des situations dangereuses car la lecture du carrefour est différente selon la direction de circulation, ce qui peut surprendre aussi bien les automobilistes que les cyclistes. À la fin de cet article nous faisons une proposition pour résoudre ce problème.

Un confort de roulement exemplaire

La piste est à double sens, large, continue. Elle respecte les recommandations du Cerema en termes de gabarit, ce qui n’est pas toujours le cas à Nice.  Le marquage est clairement visible aussi aux intersections. Elle n’est pas encombrée par des poteaux ou des mâts de feu. Elle est posée sur la chaussée, ce qui signifie aucune bordure à franchir à chaque intersection.

Ce point est essentiel : franchir une bordure n’est pas sans risques, surtout si elle n’est pas perpendiculaire à la trajectoire du vélo. En plus d’être désagréable – la majorité des vélos n’a pas de suspension -, cela peut provoquer des chutes, notamment à basse vitesse et pour les vélos à petites roues (vélos pliables ou d’enfants). Or, le paradoxe est que ces bordures forcent souvent les cyclistes à ne pas trop ralentir dans les intersections pour garder l’équilibre – alors qu’il faudrait au contraire qu’ils réduisent leur vitesse pour évaluer leur environnement. C’est une question de physique élémentaire : la vitesse stabilise le vélo. En supprimant ces bordures, l’axe Liberté-Dante permet de pratiquer des vitesses plus lentes et sûres là où c’est nécessaire.

Enfin, l’ombrage offert par les alignements d’arbres est un vrai plus. Les alignements d’arbres tout au long du parcours procurent fraîcheur et confort, des éléments cruciaux en période estivale. Cela fait de l’axe LBD une alternative bien plus confortable et agréable que la Promenade des Anglais dans les trajets entre Nice Ouest et le centre-ville par les fortes chaleurs.


Comment rendre cet axe encore meilleur ?

Revoir le régime de priorité

Comme nous l’avons souligné, le régime de priorité actuel est source de conflits et d’insécurité. Nous proposons d’instaurer un « cédez-le-passage » systématique pour tous les véhicules traversant l’axe Liberté-Buffa, qu’ils viennent du nord ou du sud, dans les intersections qui ne sont pas déjà gérées par des feux tricolores. Ce changement clarifierait le fonctionnement des carrefours, sécuriserait les traversées pour les cyclistes, et simplifierait la cohabitation entre tous les usagers. Cela rendrait aussi l’axe plus lisible pour les conducteurs occasionnels ou non locaux.

Ce changement, loin d’être radical, s’inscrit dans une évolution déjà perceptible des comportements. Le Cerema le souligne : dans le régime de priorité à droite, une large majorité d’automobilistes laisse passer les cyclistes en premier. Il s’agirait donc ici d’aligner la règle sur la pratique, pour renforcer la sécurité tout en valorisant les usages apaisés déjà en place.

Enfin, cette modification aurait un impact direct sur le confort des cyclistes. Chaque arrêt imposé au cycliste entraîne un effort équivalent à 100 m de pédalage sur plat. En supprimant plusieurs de ces arrêts sur l’axe, on réduit l’effort physique, améliore la fluidité du trajet, et on renforce ainsi l’attractivité du vélo comme mode de déplacement quotidien. Les cyclistes pourraient “gagner” ainsi 500 m en se déplaçant vers l’ouest, et 800 m vers l’est !

Réserver les aires de livraison toute la journée

Actuellement, les places de livraison sont mixtes : réservées le matin aux professionnels, ouvertes au stationnement payant l’après-midi. Or, les livraisons continuent toute la journée. Résultat : les livreurs se garent là où ils peuvent… souvent sur la piste. En réservant ces emplacements à la livraison jusqu’au soir, on réduirait significativement les infractions sans créer de tension supplémentaire.

Multiplier les arceaux vélo à l’ouest de l’axe

Si le tronçon entre Jean-Médecin et la place Grimaldi est bien pourvu en stationnement vélo (112 places sur 350 m), le reste de l’axe est largement sous-équipé : à peine 32 places sur 1,1 km entre Grimaldi et le boulevard Grosso, souvent sur les rues adjacentes, éloignées et peu visibles depuis la piste.

Ce manque d’arceaux pénalise directement les commerces du secteur, en particulier les restaurants et enseignes récemment ouverts sur les rues de la Buffa et Dante. Les usagères et usagers à vélo, nombreux sur cet axe, peinent à trouver où stationner à proximité de leur destination. Résultat : ils doivent parfois renoncer à s’y arrêter, ou bien accrocher leur vélo à un poteau ou une barrière, ce qui risque d’encombrer les trottoirs.

Répondre à cette demande latente de stationnement sécurisé, c’est non seulement améliorer le confort des cyclistes, mais aussi soutenir l’attractivité économique des commerces de proximité. Là où le stationnement voiture est contraint, offrir des solutions adaptées pour les clients à vélo est un levier simple et efficace pour dynamiser la vie de quartier.

Un exemple à suivre pour toute la ville

L’axe Liberté-Dante est la preuve concrète que la Métropole sait faire de bons aménagements cyclables. Ce n’est donc pas un manque d’expertise qui explique les déficits ailleurs, mais un choix politique ou une absence de cadre commun. Nous saluons les efforts faits en centre-ville, notamment sur les axes Gambetta ou l’axe Nord-Sud (Raynaud – Congrès), qui s’inspirent du modèle Liberté-Dante, mais regrettons que dans d’autres secteurs les nouveaux aménagements ne suivent pas la même ligne.

Nous encourageons la Métropole à aller plus loin en l’invitant à réaliser et à suivre un guide métropolitain de conception d’aménagements cyclables. Basé sur les meilleures pratiques observées, pour garantir la qualité, la cohérence et la sécurité sur l’ensemble du réseau, ce guide fera l’objet d’un futur article.

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